➳ Tyrion

Tyrion est un prince; c'est une chose bien difficile à croire, car il n'en a pas la prestance. Pourtant, il est bien le fils de deux alphas respectés, à la tête de la puissante meute Ozark.
Né au début du printemps en compagnie de ses deux soeurs, Roskva et Nexus, il était le dernier de sa portée. Dès le début, Tyrion s'est montré différent des autres louveteaux: il n'était pas curieux, ni bruyant. Louveteau calme et silencieux, il restait à l'écart des autres, apprenant très tôt à éviter le contact avec les siens. Les jeux de louveteau ne l'intéressaient pas. Le petit Ozark restait dans son coin, étrangement amorphe, un air déjà buté fiché sur le museau dès ses premiers mois.
Tyrion le solitaire. Voilà le nom dont il avait rapidement hérité auprès des siens. Il ne se mêlait jamais aux autres, baissait le regard lorsqu'on s'adressait à lui; on murmurait sur son passage qu'il n'avait pas la trempe d'un guerrier. Pire, qu'il n'était pas digne des Ozark.
Un jour, le petit loup, âgé de quelques mois, décida de poser pour la première fois ses pattes dans le monde extérieur. Ses sœurs l'avaient déjà exploré bien plus tôt, mais lui refusait toujours de quitter la tanière. Tout était grand dans cette forêt, il était loin d'être rassuré, mais il voulait faire bonne figure auprès des siens. En s'arrêtant près d'une flaque aux allures verdâtres, Tyrion se désaltéra. L'eau avait un goût étrange, mais le louveteau était encore trop jeune pour s'en étonner.

En grandissant, les yeux du jeune Ozark prirent une étrange teinte émeraude, au lieu de l'ambre qu'arboraient les autres loups de sa meute. Les effets secondaires, de ce qu'on lui expliquerait plus tard être une intoxication irréversible, ne tardèrent pas à se manifester: Tyrion fut peu à peu victime de maux de tête inexpliqués. Cela survenait à n'importe quel moment, et, quoi qu'il fasse, il devait se retirer dans un coin calme jusqu'à ce que cela passe. Au fil de ses expériences, il constata qu'un environnement stressant ou bruyant avait plus de chance de lui provoquer des crises.
Le jeune Ozark comprit bien vite qu'il n'aurait jamais la vie désirée par ses parents. De toute façon, même avant d'avoir ses maux de tête, il avait réalisé qu'il était loin d'être à la hauteur de ses camarades. Il était le trouillard, le ronchon, le solitaire. Il n'avait rien hérité de ces fiers guerriers Ozark, avec leurs épaules musclées, leur regard vif et leurs crocs menaçants. Lui, Tyrion, n'avait rien d'impressionnant avec son pelage toujours négligé, son petit air effarouché et ses pattes courtes...

Vint ensuite la peur. La peur d'être rejeté, d'être chassé loin de la meute, parce qu'il était un poids. Idéale n'était pas plus tendre avec ses enfants qu'avec le reste de la meute; si son fils n'apportait rien de bon au groupe, elle était parfaitement capable de s'en débarrasser. Du haut de ses quelques lunes, le louveteau en était parfaitement conscient. Au mieux, s'il avait de la chance, Tyrion pouvait toujours espérer occuper le poste d'oméga. Certes, la considération des autres membres de la meute à son égard n'en serait que plus mauvaise, mais au moins, il aurait un toit ou dormir, de quoi se remplir le ventre chaque soir, de vrais combattants à ses côtés pour assurer sa protection. Les coups et les moqueries valaient bien mieux que la solitude, car le petit loup savait qu'il n'aurait aucune chance de survivre seul.

Durant toute son enfance, pour s'éloigner de ses congénères et rester dans un lieu calme, Tyrion s'isolait souvent dans la tanière du guérisseur -mais uniquement lorsque ce dernier était absent, car Fléau lui faisait vraiment peur. Il observait, fasciné, la collection de plantes de son oncle; des fois, il osait même goûter quelques feuilles. Mais il restait discret, remettant chaque chose à sa place avant de partir, souhaitant pour rien au monde que Fléau vienne lui croquer le museau.
Certains loups remarquèrent toutefois ses allées et venues fréquentes dans l'antre du chaman. Le louveteau apprit qu'il pouvait devenir guérisseur, lui aussi, s'il le désirait: Fléau pouvait le former et lui transmettre ses connaissances. L'idée de devoir fréquenter le terrible soigneur Ozark n'enchantait pas du tout le jeune mâle, mais la pensée d'être guérisseur le charma aussitôt.
Il comprit alors qu'un autre chemin s'ouvrait à lui. Qu'il n'était pas un cas désespéré. Tyrion pouvait lui aussi être utile aux siens, à sa manière.