➳ Hero

De ses premiers jours en ce monde, Hero ne se souvient que de quatre murs gris et d'un sol bétonné. Il fut arraché bien tôt à la chaleur de sa mère, placé dans un endroit avec d'autres chiots de son âge, tous issus de races de grande taille. Très vite, ils apprirent que les bipèdes les avait sélectionné, eux, pour les protéger et les aider. Ces chiens étaient l'Elite, les protecteurs. Et ils furent éduqués comme tel.

Ayant pressenti les catastrophes à venir, un groupe d'une bonne cinquantaine d'hommes s'était réfugié dans un bunker idéalement pensé pour la survie. Situé dans les montagnes, loin de la ville et des bombardements, le groupe échappa ainsi aux virus et autres fléaux humains. Avant de se retrancher dans cet abri, les hommes avaient emportés avec eux presque une vingtaine de chiens, prenant plusieurs couples de races différentes. Ainsi, Hero fut le fruit tant attendu de l'union des deux seuls Akitas du bunker. Des chiens d'autres races, notamment des Bergers Allemands, des Dobermans et des Malinois, furent croisés à la même époque, au printemps, afin que tous les chiots aient à peu près le même âge et puissent être éduqués ensemble. Le but des hommes étaient de former les meilleurs chiens de travail possibles, et utiles à la vie du bunker: chiens de gardes, chiens d'attaque et chiens de chasse. Hero, en raison de l'origine et des prédispositions de sa race, fut orienté parmi les chiens d'attaque.
Le nombre de chiens correspondant à peu près à l'effectif humain, chaque homme fut en charge de l'éducation d'un chien. Hero travailla aux côtés d'un ancien militaire, qui lui apprit l'art du combat, d'abord sur de simples objets prévus à cet effet, puis sur des cibles bien vivantes. Alors qu'il n'avait pas encore atteint l'âge adulte, Hero se révélait être un chien d'attaque redoutable et coriace, l'un des meilleurs du bunker.

Les hommes inculquèrent très vite la haine des loups à leurs chiens. En effet certains canidés sauvages, prêts à tout pour survivre, n'hésitaient pas à rôder aux alentours du bunker en meute, espérant sans doute dénicher quelque chose d'intéressant. Plusieurs chiens de chasse, que les bipèdes envoyaient dans la forêt, furent retrouvés blessés ou pire, dévorés. Certains chiens de garde ou d'attaque, postés devant le bunker la nuit pour le protéger, furent retrouvés éventrés le lendemain. Plus le temps passait et plus les loups prenaient leurs aises; en un an, l'effectif des chiens diminua de moitié, si bien que les hommes durent lancer de nouvelles portées. Ce fut aussi le début de la chasse au loup, la période la plus excitante de la vie d'Hero, qui avait enfin l'occasion de découvrir l'extérieur. Les hommes commencèrent à envoyer plusieurs patrouilles, composées de bipèdes entraînés et de chiens de combat, aux alentours du bunker afin d'exterminer les loups.

Ce fut le début des premières infections. Les hommes découvrirent que certains loups avaient attrapé cette maladie appelée Encephalovirus Ater, qui rendait fous les animaux. Lors de combats, par morsures, certains chiens attrapèrent ce mal. Les meilleurs amis de l'homme, devenant alors incontrôlables et dangereux, devaient être aussitôt abattus.
Si les bipèdes maintenaient leur effectif, les chiens, dont le rôle était de prendre des coups à la place de l'homme, virent rapidement leur nombre baisser une deuxième fois. N'ayant qu'un couple reproducteur par race, ce qui n'était pas suffisant pour renouveler correctement l'effectif, les hommes décidèrent de commencer à croiser certains frères et sœurs entre eux afin de produire davantage de chiens.

Si le bunker avait été équipé d'une quantité considérable de provisions, le nombre grandissant de chiens représentaient des bouches supplémentaires à nourrir. Hero avait trois ans lorsque la nourriture commença à manquer. Même si les chiens étaient de bons chasseurs et ramenaient quelques proies à chacune de leurs sorties, comme des lapins, le gibier apprit vite à éviter le bunker et les environs, et les hommes durent élargir leur zone de chasse. Ils devaient s'aventurer plus loin chaque jour, s'exposant inévitablement à de nouveaux dangers. Nombreux furent les hommes et les chiens tués par des prédateurs, comme des ours ou des meutes entières de loups, et ceux, malgré leur excellent entraînement. Au bout d'une vingtaine de morts, les bipèdes décrétèrent que l'extérieur était trop dangereux et limitèrent les sorties, préférant se cantonner à la culture, même si les fruits et les légumes sortis de leur terre étaient de bien maigres repas comparé à leurs besoins.
Forcément, leurs chiens furent les premiers à souffrir de la faim. Les portées continuaient cependant à se succéder: les hommes les élevaient non plus uniquement pour leurs services, mais aussi pour leur viande qui, après tout, restait comestible au même titre que la viande de n'importe quel autre animal. Les hommes, qui jusque-là s'étaient efforcé de surveiller les croisements pour préserver les races, commencèrent à croiser tous les chiens entre eux. Hero, issu de la toute première lignée du bunker, pouvait se vanter d'avoir un sang propre, dépourvu de consanguinité ou du sang d'une autre race que la sienne. Ils n'étaient plus qu'une poignée à venir des premières portées, du temps ou les hommes ne pensaient pas encore à croiser les frères et les sœurs.

Ainsi fut réglée la vie au bunker durant la dernière année: seuls les chiens les plus forts et les plus utiles étaient gardés. Les autres, ceux qui ne se révélaient pas à la hauteur, mettaient trop de temps pour grandir ou pour progresser, ou encore ceux élevés uniquement dans le but de nourrir un jour leurs maîtres, finissaient par disparaître. L'éthique n'avait plus d'importance lorsque la nourriture se faisait rare, menaçant l'équilibre du bunker et la vie de ses habitants.

Vivant chaque jour dans des conditions toujours plus dures, Hero n'en devenait que plus coriace. Il se montrait toujours aussi dévoué envers les hommes, obéissant à la lettre et leur donnant toute sa confiance, comme eux lui donnait la leur. Les chiens n'étaient pas au courant de ce qui arrivaient à certains de leurs compagnons et, lorsque l'un d'eux disparaissait, ils se disaient simplement que c'était parce que cet individu-là avait été trop faible, et que cela était mieux ainsi. Pour eux, seuls les plus forts méritaient de survivre. Ces chiens avaient été éduqués pour agir, et non pas pour réfléchir.

Mais leur petit monde s'écroula

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