➳ Aslan

Aslan naquit dans une meute constituée d'une seule et grande famille: le couple Alpha, c'est à dire ses parents, ainsi que toute leur progéniture. Le mâle noir grandit dans cette ambiance familiale et chaleureuse, entouré de ceux qui étaient à la fois ses frères et sœurs et ses compagnons de meute. Lorsqu'ils atteignaient l'âge adulte, les jeunes loups pouvaient choisir de quitter la meute pour fonder leur propre famille sur un autre territoire, ou de rester fidèle à leurs parents. Aslan choisit cette deuxième option; ayant évolué depuis toujours aux côtés de sa famille, il ne put s'imaginer laisser les siens.
Si le loup au grand cœur aimait tous ses camarades de la même façon, il était pourtant plus proche de Namara, sa sœur de portée. La louve crème au fort caractère l'entraîna souvent dans des situations périlleuses, mais son frère lui pardonna toujours.
Alors qu'il venait d'atteindre son premier anniversaire, sa mère mit au monde une nouvelle portée de louveteaux. Attendri par cette armée de boules de poils, Aslan participa activement à leur éducation. Une fois qu'ils atteignirent l'âge de chasser, il fut même nommé mentor de l'un de ses frères, Aaron. Le grand mâle noir lui apprit tout ce qu'il savait et s'attacha rapidement au louveteau gris.

Évoluant avec confort et tranquillité, la meute ne pouvait se douter de ce qu'il allait advenir un an plus tard. Alors que l'automne touchait à sa fin, le repère fut un soir attaqué par une dizaine de loups venus de nulle part. Une dizaine de loups aux yeux fous, à l'haleine putride et au corps décharné. Ils détruisirent tout ce qu'ils trouvèrent sur leur passage, s'attaquant d'abord aux plus jeunes puis à la plus âgée de la meute, Luna, la femelle Alpha. Attendant des petits, la louve fut tuée avant même de pouvoir se protéger.
La meute, ayant l'avantage du nombre, tenta d'abord de se défendre, attaquant vaillamment leurs assaillants; mais les loups finirent par comprendre que leurs ennemis étaient fous. Ils ne ressentaient ni la peur ni la douleur: le seul moyen de les arrêter était de les tuer. Ce fut un vrai carnage et Aslan, horrifié, vit ses frères et sœurs tomber les uns après les autres. D'autres, comprenant que la lutte était vaine, prirent la fuite. Bientôt, la fière famille se retrouva en piteux état et leur effectif, réduit de moitié, devenait un désavantage face au nombre d'ennemis encore debout. Blessé, Aslan décida d'emmener Aaron, son seul jeune frère encore en vie, loin du combat. Il abandonna les siens à contre-cœur, se maudissant pour cette décision mais sachant qu'il s'agissait de la seule solution pour protéger Aaron. Il fut bientôt rejoint par Namara. Avant de partir, la louve tenta de convaincre leur père de venir avec eux mais l'Alpha, trop fier pour laisser les siens, jura de défendre sa meute jusqu'à sa mort avec les derniers loups encore sur place. Alors qu'ils fuyaient, ils furent rejoint par l'un de leurs aînés les plus tenaces, Shiruba. Le pelage couvert de sang, le mâle n'avait plus beaucoup de force et n'avait d'autre choix que de fuir pour échapper à une exécution certaine.
Le cœur lourd, les quatre frères et sœurs détalèrent dans les collines, laissant derrière eux une bataille dont l'issue était sans appel.

Le quatuor erra pendant quelques temps, ne sachant ou s'installer. Ils croisèrent d'autres loups infectés, qu'ils évitèrent avec prudence, ainsi que quelques loups de confiance, qui leur indiquèrent que certaines terres avaient été épargnées par le fléau qui touchait les animaux. Les quatre loups se mirent donc en route vers ce territoire inespéré.

Après plusieurs mois de voyage sans trop d'accroches, Aslan et ses compagnons se heurtèrent à un nouveau danger: les hommes. Ils n'en avaient vu que rarement au cours de leur vie et s'étaient toujours arrangé pour les éviter, mais la plaine qu'ils traversaient alors ne leur offrait aucun abri. Les hommes surgirent de la terre sans prévenir, semblant sortir d'un abri sous-terrain invisible de l'extérieur -ce qu'ils appelaient un bunker, comme Aslan l'apprit plus tard. Ils prirent aussitôt les loups en chasse, tentant de les blesser à distance avec leur 'bâtons-de-feu'. Pour espérer les semer, les quatre loups n'eurent d'autre choix que de se séparer. D'un commun accord, ils prirent chacun une direction opposée durant leur fuite, se promettant de se retrouver une fois le bois atteint.
Mais la poursuite ne s'arrêta pas là: déterminés, deux des hommes suivirent Aslan jusqu'à la forêt tandis que d'autres prenaient ses frères et sœurs en chasse. Aux commandes d'une machine de fer montée sur quatre roues, ils étaient presque aussi rapides que les loups. Le grand mâle noir, paniqué et essoufflé, pensait se faire rattraper lorsqu'un loup inconnu l'intercepta soudain au détour d'un arbre. Sans un mot, il poussa Aslan dans un creux sous un arbre, qui se révéla être une ancienne tanière de renard ou de blaireau aux multiples galeries. Les deux loups se tapirent dans l'ombre, l'oreille tendue, guettant avec attention le passage de la machine de fer.
Lorsque les hommes se furent éloignés, perdant la trace d'Aslan, l'étranger se présenta sous le nom de Laos. Il précisa qu'il leur faudrait vite quitter cet endroit, qui selon ses dires grouillait de bipèdes et autres dangers. Aslan refusa d'abord, effrayé à l'idée de laisser ses frères et sœurs: ils avaient peut-être besoin de lui ! Mais Laos insista, le persuadant comme il pouvait. « Rester ici, c'est mourir. Les tiens s'en sortiront; tu les retrouveras plus tard. » Peu convaincu, le grand mâle noir suivit néanmoins l'étranger qui lui avait sauvé la vie. Il n'avait pas tort: ses frères et sœurs et lui avaient le même objectif. Si tout allait bien, s'ils s'en sortaient, il n'y avait aucune raison qu'ils ne se retrouvent pas une fois arrivé à destination.

Les terres promises... Plus les mois passaient et plus Aslan commençait à douter de leur existence. Il était resté auprès de Laos et les deux loups avaient poursuivi leur voyage ensemble. Sans lui, le noiraud doutait de sa survie: il était un piètre chasseur et n'avait pas l'habitude de se retrouver seul. Laos n'était pas le compagnon de voyage le plus bavard, ni le plus patient, mais sa débrouillardise sauva la vie à Aslan plus d'une fois. Malgré leurs différences, ils parvinrent à s'entendre et à s'entraider.
Enfin, un matin, les deux loups découvrirent à l'horizon une chaîne de montagnes, d'ou s'échappait une étrange fumée. C'était ainsi qu'on leur avait décrit le début de ces fameuses terres, celles que certains nommaient Northrim. Aslan sentit l'espoir renaître en lui; fiévreux, Laos et lui pressèrent le pas. Quelques jours plus tard, ils atteignaient les montagnes. L'air pur et la vie foisonnante suffirent à indiquer aux loups qu'ils ne s'étaient pas trompés.
Le lendemain de leur première nuit dans les montagnes, Laos avait disparu. Aslan supposait qu'il était parti, maintenant qu'il savait le grand loup noir en sûreté. Le mâle gris avait toujours eu l'âme d'un solitaire et Aslan savait qu'il était resté à ses côtés uniquement pour le protéger; il ne pouvait pas lui en vouloir.
A présent, le géant noir se retrouvait en terrain inconnu, face à sa pire ennemie: la solitude.